
(sur les rimes du poème : Je t’attendais)
J’ai vu jadis la mer aux mille et un navires
Au temps où tes cheveux avaient couleur de blé
Quand nous chantions notre amour étendus dans l’herbe
Que nos cœurs renaissaient quand se mourait le temps
J’ai su jadis nommer les chemins et les routes
Quand le Soleil le soir dans l’ombre s’en allait
Laissant la Lune pâle éclairer nos épaules
Nos âmes enlacées unies à tout jamais
Le vent doux de la nuit caressait tes paupières
Et nous dormions rêvant aux premières gelées
Là-haut sur la montagne en pleine solitude
Où je te faisais rire en te baisant le cou
Puis nous nous réchauffions sous les feux de la vie
Nous levant bon matin quand le jour s’éveillait
Gais comme voyageurs retrouvant le pays
Refleuri des enfants joyeux qui se levaient
Et ces rayons d’azur qui percaient les fenêtres
Nous ouvrant sur le monde et le bonheur nouveau
Où les gens étaient beaux et les peines légères
Et qu’un ciel éclatant illuminait les rues
Je vois encor la joie empreindre ton visage
Et ton cœur qui palpite en un doux battement
Promesse de bonheur et de l’extase même
Qui réveille les sens et réchauffe le sang
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Je t’attendais
Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires
Dans les années de sécheresse, quand le blé
Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t’attendais, et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encor que par quelques paupières,
Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m’éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d’astres qui se levaient
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau,
Quand les portes s’ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues
Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu’au temps de toi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.
René Guy Cadou
Hélène ou le Règne Végétal, 1951

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