
À la petite Étoile du matin,
amoureuse du Soleil endimanché
Le Soleil a enfilé ses habits du dimanche au saut du lit ce matin. Il se pavane maintenant dans les rues grises d’une petite ville toute grise, elle aussi, mais qui soudain se réveille de sa nuit de rêves, s’éclaire en secouant au loin la chape blafarde de la pleine lune qui s’était subitement abattue sur elle et reprend rapidement les couleurs de sa vie quotidienne. Oh, des couleurs bien ordinaires, des couleurs de chez nous, toutes simples, bleues, jaunes, rouges et vertes, mais elles sont belles quand même, ces couleurs… vous les voyez ?
C’est un sans gêne, quand même, ce Soleil, il entre partout, sans qu’on l’invite, batifole avec tout.e un.e chacun.e,puis ressort réchauffer les joues de toutes ces dames en leur faisant la bise, ce qui rend tous les maris jaloux, ils en deviennent verts de jalousie, certains même rouges et fous de rage de voir préférées aux leurs les joues de ce beau sexe féminin que tous les hommes adorent pourtant.
Mais ce qu’il aime avant tout, le Soleil, c’est de folâtrer le long des berges fleuries des frais cours d’eau, des ruisseaux surtout qui caracolent limpides et insouciants, pour écouter et contempler le clapotis de l’eau folle qui joue sous la surface*, comme un petit enfant du Bon Dieu qui n’a pas encore appris ce que c’est que la malice. Le Soleil se prélasse souvent de longues heures en rêvassant étendu sur une chaise longue près de la rive, surtout les jours de congé, qui sont rares ces temps-ci, parce que c’est l’été, qui est, comme chacun sait, la haute saison pour le Soleil.
Alors là, il rayonne encore plus fort, le Soleil, parce qu’il est content et heureux qu’il fasse si beau aujourd’hui (de surcroît, nous sommes dimanche…), et que la Nature soit si souriante avec lui, comme lors de son passage de routine sous les nuages, qui lui murmurent doucement à l’oreille : — Ne t’inquiète pas, frère Soleil, nous sommes là, mais nous ne te ferons pas d’ombre aujourd’hui… nous ne faisons que passer en flottant comme des petits moutons de rêve, tout blancs, cotonneux et tout contents, parce que ce sont les vacances, après tout… à plus tard, beau Soleil…
Sur son chemin, le Soleil survole une charmante petite église, toute belle et coquette, blanche et bleue, qui fait la belle entourée de beaux jardins fleuris, tout pleins de belles fleurs qui se laissent séduire par des chevaliers célestes déguisés en abeilles et qui lui fredonnent des chants d’amour en bruissant des bzz bzz bzz bien sonores — inutile de vous dire que toutes les petites fleurs fondent d’extase en ouvrant leurs corolles roses et veloutées, tout excitées, et sur le point de s’évanouir de bonheur. Le bonheur des fleurs… ah, le bonheur des fleurs !
Le Soleil est surpris de croiser sur sa route céleste un Ange des Cieux qui survole lui aussi la petite église, blanche et bleue — mais pourquoi, se demande-t-il ? Il comprend vite la raison de ce vol spécial (sans doute commandé, pense-t-il…) — c’est l’heure de l’offertoire que célèbre le bon curé de la paroisse, bénie par la grâce d’en Haut à cette heure unique entre toutes où le miracle divin s’accomplit ; le Soleil voit aussi qu’à ce moment précis l’Ange Bleuté darde ses rayons dorés sur la petite église et partout alentour dans le village habité par des gens si simples, mais si pieux qu’on leur donnerait le Bon Dieu sans confession.
Après avoir respectueusement salué le bon Ange, le Soleil reprend sa route, enchanté que tant de bonheurs parsèment sa course d’astre divin, il ne s’y habitue jamais… Après que son cœur se soit calmé de ces émotions si intenses, intenses même pour un Soleil, le Soleil poursuit son périple au-dessus des nuages cotonneux sortis tout droit (certains rêveurs y croient) d’un rêve mystérieux…
Le Soleil retourne ensuite en ville en se disant : Tiens, je vais aller réchauffer les joues de ces messieurs aussi, ils seront tout contents et heureux et ne seront plus enragés contre ces jolies dames, et ces jolies dames, aux si jolis petits chapeaux à dentelle, retrouvant leurs maris à favoris et moustache tout heureux, seront encore plus belles à contempler, pour la joie du Soleil et de toutes les âmes qu’il éclaire, femmes, hommes et non genrés confondus… sans oublier les petits enfants qui aiment, comme les grands, mais beaucoup mieux, regarder les jolies dames qui leur rappellent leur tendre petite maman, si belle à regarder, elle aussi ; même les gentils petits chiens frétillent de la queue sans plus rêver à leur os… en léchant la main de leur maîtresse adorée avec l’air de lui dire des yeux, dans leur langage amoureux de chien : — Comme vous êtes belle, Maîtresse, presque aussi belle que le Soleil, mais moi, je vous aime bien plus que le Soleil… Et la maîtresse de caresser la petite tête du petit chien, parce que tout d’un coup elle se sent aussi heureuse que son petit chien qui l’aime plus que le Soleil… Nous assistons là à un cercle vertueux de beauté et d’amour… et c’est de toute beauté… et tout plein d’amour…
Après toutes ces lumineuses péripéties, le Soleil se sent las et songe à prendre un peu de repos, quand tout à fait par hasard il remarque un joli couvert de nuages à l’horizon, tellement invitant, tout tamisé d’or, de rose et de pourpre où, il en est persuadé, il pourra aller refaire ses forces jusqu’à demain et se lever tôt pour éclairer à nouveau les Hommes qu’il aime sans mesure, parce qu’ils l’aiment, lui, à la folie — qui, en effet, peut être insensible à l’amour qu’on lui porte au point de ne pas aimer en retour, dans une spirale de bonheur partagé à l’infini et qui par miracle renaît jour après jour dans la splendeur unique d’un astre lumineux et de l’amour que les Hommes reconnaissants lui portent. Et le Soleil, il le sait bien, lui, que sans la lumière et la chaleur de sa présence, les Hommes, eh bien, ils ont bien froid… et n’y voient pas grand-chose…
N’est-ce pas une belle histoire que je viens de vous raconter là ? Si je vous l’ai racontée, c’est parce que tous les poètes sont de petits enfants, et qu’ils aiment la Beauté et le Soleil qui lui donne des couleurs — si si, c’est le Soleil lui-même qui me l’a dit, en personne… et le Soleil, il sait tout, c’est bien connu… rien n’échappe à sa lumière… et puis, moi, je le crois sur parole, le Soleil, pas vous ?
* J’ai emprunté cette belle image poétique à une poétesse inoubliable qui s’épanouit en belle âme sous le Soleil, comme une fleur…

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