Échappée mystique II

D’une âme à l’autre, sur le fil détendu du rêve ou emmêlé de délire…

Car il faut bien rêver, et rêver bien, ou à sa guise — c’est l’idée de la Femme qui m’y convie… La Femme n’est-elle pas le rêve de l’Humanité ? Ou l’inspiration vers sa finalité secrète ? Sa lointaine étoile ? Seul le Rêve rêve ce qu’il veut, tandis que le réel ne voit que ce qu’il peut…

« Souviens-toi, ma sœur, et toi, mon frère, que l’Univers est violent et impitoyable ; pour le vaincre, tu dois te fondre en lui en te vainquant d’abord. »

Entre les ors et les bleuités d’étoiles qui dansent sous ma paupière, feux vivants embrasés d’infini, voguent les voiles diaphanes et moirées d’un Éveil jamais vu. Que vienne le temps du silence atemporel, des assoupissements lucides et lumineux, dans l’accalmie de mers étales et très douces, dans la sérénité des cieux et des dieux, vrais ou trompeurs — car, qu’importe ce que les cieux dévoilent de l’être, qu’importe ce que les dieux inspirent au corps, si cet être et ce corps se gavent d’existence, à jamais avides et désirant sans répit la répétition du même…

Ô ignorance sans âge, ignorance de l’atome aux étoiles, éventre tes noires nuées et qu’explosent les mondes sidéraux, sidérés d’ennui et de vaine attente stupéfiés ! Qu’une clarté neuve de vie éclate ! avant l’Oméga de l’Illumination…

Il existe un Temps et un Lieu jamais vus des aveugles ataviques, ou volontaires, ou trompés malgré eux, où la vie ne blesse plus, où la vie n’est plus soumise à son multiple frisson, frisson précurseur de mille souffrances en attente. Malgré eux, car la conscience ne fut jamais gage suffisant de Connaissance… Seul l’éclair impromptu, bref et furtif, d’un aigle rédempteur fondant sur sa proie de maux et de masques, seul cet éclair-oiseau dessillera les regards égarés de trop d’obscurité, noircis depuis la naissance des Siècles.

Que vienne enfin la Fin, que tous sourdement désirent, que peu cependant d’un courageux hara-kiri du cœur voudront épouser, dans l’instant, dans une première et dernière fulgurance…

Mais la vie ? Mais qu’est-ce que la vie, qu’un bruissement d’ailes froissées d’oiseaux privés d’ailes depuis des temps immémoriaux (d’anges castrés de leurs célestes plumes), d’oiseaux terre à terre, confus, lourds, gourds, mais qui piaffent, étourdis, qui s’attardent ici-bas, toujours inquiets et pleins d’un désir sans nombre, dans l’intervalle resserré d’un prélude hésitant et d’une coda concertée d’avance, échéance inéluctable et redoutée de toute créature.

Mais l’amour ? Mais qu’est-ce que l’amour, qu’un rapprochement impérieux d’épidermes, qu’un tressaillement nerveux des cellules, qu’un sursaut fugace avant l’écart et l’éloignement libérateur, tant nécessaire (secrètement souhaité pour délivrer du trop d’intimité), qu’une échappée alanguie de l’âme (et si seule, si solitaire, l’âme…), qu’une parenthèse béante entre les orbites hagardes ou révulsées de l’être, où refuse obstinément d’éclore la véritable volupté, fleur unique et exquise, diadème de la psyché. — Doit-on porter au compte de l’amour les spasmes bas-ventraux, si vite relégués à l’oubli, dont l’humanité, piégée dans l’impératif du maintien de l’espèce, est si friande ? — Non, l’attachement et l’habitude ne sont pas, ne seront jamais l’amour…

Mais l’esprit ? Mais qu’est-ce donc que l’esprit, sinon qu’une vague intuition des choses et du monde, floue de nature, source mal comprise de l’égarement et du voilement passager de la raison, en mal de codes plus intelligibles, toujours, mais abusée de mots, de phrases, de sentences et de thèses balbutiantes et inchoatives, jamais définitives, toujours remises en chantier, et, enfin, raison nourrie de cette vaste illusion que l’esprit accédera un jour à l’Esprit.

Plutôt s’éveiller une fois pour toutes du songe universel ! en plongeant clairvoyant au cœur du chiffre et du symbole qui nouent et dénouent la vie, l’amour, l’esprit, dans l’absolu de l’extrême étreinte, où le Temps s’accomplit quand il gît aboli. Au delà, ondoient les vagues transcendantes et cristallines de l’Éveil enfin su, puisque vécu, au plus profond de la Mer astrale. Ô enivrement d’Extase, ô Extase ineffable ! Ô Néant ultime, ô sublime Néant ! épouvante de tous les Mortels ! — Et que les Soleils et les Mondes ne viennent plus m’accabler de leurs délires en vaine création, sans cesse ruminée, sans cesse ravalée ! — Tout bien pesé, tout bien apprécié, si peu me chaut l’Univers…—


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