Journal imaginaire

Salut, Poètes torturés ! Comme vous, je suis un génie ailé englué dans la vase quotidienne — j’ai pourtant tout fait pour m’envoler, mais la sottise a retenu mon élan et tenu fermée à triple tour la porte du château diaphane* d’où jaillissent toutes les lumières du monde. Je parvins toutefois à faire éclater cette porte de l’ignorance, soutenu « d’en Haut », et j’ai vu la vérité, les mensonges, les soleils le jour, les étoiles la nuit. La Vie m’a révélé tous ses mystères et ouvert à tous ses secrets. Inspiré par ma défaite, je me suis élu Poète. Quand je rêve, ce ne sont pas des formes ni des images terrestres qui surgissent dans les nuits de mon esprit, mais des Lumières vivantes et qui me donnent vie. Le chemin de mes jours s’aplanit chaque heure et me laisse trotter à ma guise dans le grand jardin de la Terre rêvée, Terre sacrée, le seul Trésor qui ne se ternit point au fil de nos vies. Je vois mes sœurs et mes frères endormis sur le bas-côté de la route, mais je ne m’attriste pas, car un feu, je l’ai vu, sommeille en eux et les brûle à leur insu dans leur âme mal sue. Ô, dieux, jusques à quand souffrirez-vous notre paresse, nos oublis, nos petitesses ; quand blanchirez-vous nos noirs soucis, nos tristes détresses ? Il vient pourtant le jour des révélations salvatrices, des actions vainqueuses et des amours profondes… Toi, qui me lis, ignores-tu que ton sein est gravide d’un être divin, tout petit encore, minuscule, mais un jour, pas si lointain, il éclora dans ta joie retrouvée, pour la vie, à jamais heureuse, à jamais heureux et en paix malgré tes noires lucidités du moment. Nous nous reverrons, chères âmes, quand l’œil de nos consciences se dessillera à nouveau et qu’enfin nous nous dresserons face à face, tous ensemble réunis pour chanter le cantique de l’ultime Unio Mystica, où nous ne serons plus qu’un dans l’Un originaire qui éclaira le monde, dès les origines, avec toutes ses merveilles, au-delà des credos, des théories et de toutes les illusions réunies.

Je suis né à l’heure où les anges se lèvent pour nous (r)éveiller. Mon cœur est femme, mon corps est homme, mais mon âme est un ange, c’est vous dire si l’harmonie est une notion qui m’est chère. Seulement, la vie m’a appris, comme à Héraclite, que tout naît du conflit, le conflit est le Père de toute chose. L’aplanir est le rôle et la mission du Poète, ne fût-ce que dans ses rêves, et nul Poète n’est Poète s’il n’est avant tout Voyant ; je ne suis pas le premier à le dire, Rimbaud, l’enfant couronné des Muses dès le berceau, l’a exprimé avant moi ; il a vécu de la Vision suprême en se crevant les deux yeux, comme Homère avant lui, pour occulter les mondes de laideur qui l’ont tant fait souffrir. De naissance un œil se tapit au fond de nos cerveaux, œil à la fois de Vie et de Sagesse, mais unique et unique témoin de la Beauté de l’Univers. Ouvre cet œil, ami du Vrai, du Bien et du Beau ! Et de cet œil, survole et surveille tes pensées, tes émotions, tes sensations et toute l’existence humaine, que rien ne te demeure secret. Rien ne doit croupir obscur à ta vision interne, plus précieuse encore que tes deux yeux de chair. Un jour, d’un élan prophétique, ton âme se déploiera visionnaire pour annoncer au monde la bonne nouvelle de la libération et de l’Illumination suprême. Ce jour béni attend tes ardeurs les plus chaudes à rayonner pur et lumineux à la face de la Terre et des Cieux, qui n’attendent que toi pour exploser dans une déflagration ultime, incendie cosmique qui bronzera tous les cœurs et raffermira toutes les chairs dans une extase sans nom, qui saura sublimer l’essence ignée, mais encore impure des Mondes, et accoucher de la Pierre unique, la Pierre des Philosophes, des Poètes et des Voyants, qui resplendit de la lumière et de la beauté de l’or, et qui possède tous les pouvoirs de tous les dieux réunis.

Ici s’achève cet essai d’un journal imaginaire inspiré par je ne sais quel Esprit dans un moment de folie débridée et jubilatoire.

  • L’allégorie habite un palais diaphane… — Antoine-Marin Lemierre, Peinture, III.

Vale.

Je dis vague, donc je suis poète. ~ Poète Untel


En savoir plus sur L’Éveil du Poète

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

En savoir plus sur L’Éveil du Poète

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture